Toros et société

Publié le par Catherine Le Guellaut

Quand la Marseillaise me propose une carte blanche pour leur numéro spécial de la Féria de Pâques, j'accepte sans hésitation, la hargne aux tripes.
Ces derniers mois : coups de couteaux dans le dos, complots et trahisons, amis mansos, j'en ai lourd sur la patate et surtout marre de la connerie, des arrivistes et du clientélisme, des magouilles qui avalissent autant ceux qui les fomentent que ceux qui en profitent (ils se reconnaitront).
Tout envoyer pêter, tout balancer, sérieux, j'y ai pensé. A quoi bon patauger dans la même médiocrité, autant prendre un peu de hauteur et de distance.


Toros et société : interrogation avec moi-même !


JE – Tes convictions humanistes notoirement engagées peuvent-elles être s'accorder de l'aficion à los toros et du fonctionnement du milieu taurin ?
MOI – Je me suis effectivement souvent posé la question du sens social de la corrida. À savoir si ce qui se joue en six actes sur le sable des arènes en tant que fable initiatique individuelle s'oppose ou participe à la notion de grandissement, d'élévation ou de mûrissement de la conscience collective.
On affuble souvent la tauromachie d'archaïsme, d'un anachronisme barbare qui serait contraire à une vision moderne de l'humanité. À supposer que l'humanité soit arrivée à un point d'évolution tel que toute violence aurait disparu, que les conflits se régleraient avec sérénité dans un monde apaisé et harmonieux où la corruption, l'exploitation de l'homme par l'homme, les exactions, les viols n'existeraient plus ! Chaque jour, l'actualité nous expose combien nous en sommes loin.
Tout aficionado s'accorde à reconnaître dans la corrida des valeurs fortes, positivement progressistes : le courage, le respect de l'autre, la loyauté, l'intégrité, l'engagement, la sincérité. Des valeurs qui combinées à la beauté, à l'intensité et à l'émotion font que nous sortons des arènes comme meilleurs, allégés du poids d'une médiocrité conjuguées au quotidien, rassérénés dans nos angoisses existentielles.
JE – Qui est ce “nous“ auquel tu t'associes, tu t'identifies ?
MOI – Nous, c'est la familiarité de ce qui a été vécu deux heures et demi durant. La somme des individualités dont le regard a convergé vers le même objet au centre du ruedo forme une communauté liée par l'histoire des six toros combattus cet après-midi-là, une histoire qui s'ajoute au patrimoine partagé.
JE –Tu ne décris là que des “je“ additionnés, assis côte à côte sur les gradins qui se reconnaissent dans une même appartenance culturelle. Comment s'organise ce “nous“ dans la société ?
MOI – Ce n'est pas une histoire de lutte sociale organisée ou de politique, (même si parfois les taurins ruminent des envies de révolte). Comme pour les toros, juste une manière d'être les uns à côté des autres et d'apprécier ensemble le même événement. Je ne peux te que dire que ce à quoi j'aspire et ce pourquoi je me bats. Je te parle d'un “nous“ capable d'imposer que les valeurs partagées autour des toros puissent s'appliquer hors l'arène avec la même sévérité qui déclenche la bronca quand les banderilles sont plantées à cornes passées ou la pique excessivement prolongée.
Un “nous“ loyal et courageux qui n'hésite pas à se mettre entre les cornes pour dire tout haut ce qui se murmure à mots couverts, pour dénoncer les petites et grandes combines entre amis cooptés, les privilèges extorqués par une poignée au dépens de la majorité, les luttes d'intérêts privés au détriment du bien commun, les arrangements, les compromissions, les reniements...
Un “nous“ qui applique au quotidien la même exigence d'intégrité que celle réclamée aux pitons. Un “nous“ engagé, enfin, qui permette d'affirmer que l'arène enseigne sans doute aux femmes et aux hommes pour tendre à devenir des humains sensibles et bienveillants, responsables autant d'eux-mêmes que des autres...
JE – Tu trouves pas que tu y vas un peu loin dans l'idéalisme ?
MOI – L'exigence éthique de la tauromachie appliquée à la société ? C'est très utopique, bien évidement, mais ne vit-on pas de rêves inassouvis ? La planète des toros est loin d'être une société idéale, d'autant qu'elle n'applique pas toujours elle-même et pour elle-même les règles qu'elle arbore comme étendard. Pourtant, malgré ces défaillances internes, les valeurs portées par la corrida me semblent d'une modernité sociale enviable, n'en déplaise à ses détracteurs.
JE - Il a-t-il une morale ?
MOI - Faut-il toujours conclure ? Juste une méditation, à poursuivre donc.


Catherine Le Guellaut

Publié dans textes à lire

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